Qui veut prendre soin de nos anciens ?

Revue de presse présentée par : Yann MAILLET

À l’EHPAD côté mer de Kerdurand à Riantec (56), la réduction des effectifs du personnel et la pression budgétaire mettent en péril la qualité des soins, les conditions de travail et la qualité de vie des résidents. Cette situation locale illustre une problématique d’ampleur nationale.

Le rapport d’information sur la situation des EHPAD du 25 septembre 2024 en décrit les enjeux en ces termes : « Le gouvernement a créé un fonds d’urgence doté de 100 millions d’euros. Quatre-vingt pour cent de ces crédits ont été alloués à des EPHAD majoritairement de statut public sans que cela réponde suffisamment aux besoins compte tenu de la généralisation des difficultés et de l’ampleur des besoins »[1].

La mobilisation du personnel de Kerdurand et des syndicats face aux suppressions de postes révèle la détermination à défendre et à protéger un accompagnement digne et sécurisant pour les résidents. Nos anciens souvent atteints de maladies neurodégénératives et/ou psychiatriques, sources d’angoisses et de pathologies secondaires, ont besoin de soins adaptés, de temps et de présence au quotidien.

Dans le Télégramme du 05 Mars 2025, on apprend qu’une procédure pour « danger grave et imminent » est lancée à l’encontre de l’EHPAD de Riantec, alertant de « l’impossible maintien d’un effectif suffisant pour s’occuper des 44 résidents », confirmant la gravité de la crise, avec un absentéisme massif (plus de la moitié des agents en arrêt de travail) et une surcharge de travail qui menace la sécurité des soignants et des patients. Ce conflit rappelle d’autres mobilisations dans les EHPAD ces dernières années. On ne peut oublier le scandale ORPEA fleuron des EHPAD privés en Janvier 2022. Une émission sur France 2 lui étant consacré démontre le mécanisme qui conduit au constat alarmant : la moyenne de durée de vie des personnes âgées en EHPAD est de deux ans[2]. Pourtant, un an plus tard, un article très éclairant[3] relate qu’une quarantaine de maires des Côtes d’Armor menaçaient de ne plus payer les factures d’énergie des EHPAD dont le prix avait flambé. Le Maire de Plouha y expliquait que la facture d’électricité de son EHPAD avait été multipliée par six soit 125000 €/an. Les maires des communes alertaient l’État depuis 15 ans car ni eux ni les directeurs d’EHPAD n’ont la main ni sur les recettes (données par l’ARS et le Conseil Départemental), ni sur ce que paie le résident puisque c’est le département qui fixe les tarifs. Toujours à la même période, Benoît Lubin, alors directeur d’EHPAD et président de la FNADEPA, précisait que tous les prix s’étaient envolés : l’alimentation + 14%, le gaz + 52 %, l’électricité + 54 %. Il ajoute que dans le budget des EPHAD, « 70% des dépenses sont consacrées aux salaires, donc si on veut faire des économies, il faut qu’on enlève des postes ? Il n’en est pas question, on sait où ça mène. Les gens n’ont plus le temps de bien s’occuper des résidents, s’épuisent, ne trouvent plus de sens dans leur travail et s’en vont »[4]. La qualité du travail se dégrade et les personnes âgées en souffrent.

Opposer les logiques managériales et de restrictions budgétaires au coût nécessaire des prises en charge des personnes âgées dépendantes ne mène qu’au désastre. Confronter les méthodes du privé à celles du service public n’est pas d’un plus grand secours. C’est pourtant ce vers quoi nous ramènent sans cesse les réformes des trente dernières années. Du plan Juppé en 1995 au plan « Ma santé 2022 », les services publics hospitaliers ont été mis à mal par la promulgation d’une « gestion de l’hôpital public calquée sur celle des entreprises commerciales et les logiques de concurrence.(…) Les EHPAD n’ont pas échappé à cette tendance. (ONDAM, Tarification à l’acte, méthodes de management privé, etc…). (…) La mise en concurrence entre le public et le privé lucratif a été entérinée par la loi Hôpital, Patients, Santé, Territoires (loi HPST) du 21 Juillet 2009 avec la mise en place d’appels à projets par les ARS pour la création ou l’extension d’établissements. S’en sont logiquement suivi un rationnement de l’offre et une rationalisation de la gestion des établissements avec la mise en place d’outils visant à mesurer la « performance » des établissements »[5]. Les conséquences de cette loi, toujours en vigueur, portée à l’époque par la ministre Roselyne Bachelot, furent une gestion comptable et libérale conduisant à toutes sortes de restructurations, entraînant des souffrances au travail et une dégradation de l’accès au soin. Selon un rapport sur la Santé des professionnels de santé remis au ministère le 09 octobre 2023, 64% des soignants se sentent fatigués, 27% notent leur stress à 9 sur une échelle maximale de 10, 55% déclarent avoir connu un ou des épisodes d’épuisement professionnel et 22% jugent eux mêmes leur état de santé mauvais ou très mauvais »[6].

Qui ne s’aperçoit pas qu’il est temps de repenser l’ensemble du système des soins adaptés, le circuit des dépenses, la conception même des lieux de résidence publics pour personnes âgées dépendantes ? Mais selon quelles logiques et dans quelles directions ? Nous donnerons des pistes à la fin de cet article.

La crise locale va-t-elle s’étendre à d’autres établissements ?

Qu’en est-il par exemple de l’EHPAD Le LOCH-HOPITAL LE PRATEL d’Auray, et de ceux de KERIOLET, KERLEANO toujours à Auray, quand la direction annonce au Pratel récemment la fermeture de 30 lits … dans les soins de suite ? (article Ouest France du 19/03/2025). Quelles conséquences pour les EHPAD ? Selon le site officiel d’information pour les personnes âgées et leur aidants, il y aurait 119 EHPAD dans le Morbihan. Qu’en est-il pour chacun d’entre eux ?

Sans les moyens nécessaires, les métiers du soin pourront-ils rester autant attractifs ? Y compris pour les jeunes générations ? Il semble plutôt que des rémunérations basses, des conditions de travail dégradées et un manque de reconnaissance institutionnelle rendent ces professions de plus en plus difficiles à exercer. Les directions des Établissements et les Autorités de Santé vont-elles prendre des mesures rapidement pour éviter une crise plus large ? Comment ont-elles organisé l’utilisation des cent millions d’Euros ? Comme le confirme Bruno Bilde, député du Rassemblement National à l’Assemblée Nationale depuis 2017, « le plan d’urgence de cent millions s’est avéré largement insuffisant. Certains EHPAD ayant bénéficié de crédits octroyés par l’ARS sont proches de la cessation de paiement »[7].

Nous sommes en 2025, après donc Juppé et Bachelot, il y a eu Elisabeth Borne qui a usé du 49.3 contre les avis majoritairement défavorables des conseils d’administration des branches de la Sécurité Sociale en 2022 et 2023 ; et Michel Barnier « qui s’est illustré par une volonté de réduire encore drastiquement les dépenses publiques sociales et de santé »[8].

Prendre soin des personnes âgées a des effets pour les professionnels de santé, les aidants et la population locale. Quels sont les projets réellement investis par les Autorités de Santé et les ministres de la république pour nos pères, grand-mères, frères, nos oncles, autres que des restrictions budgétaires ou des fonds d’urgence insuffisants alors qu’on sait que tout se dégrade ?

Pour sortir des promesses, et de l’oubli puisque l’État doit garantir le droit à la protection de la santé de chacun selon les termes de l’article L-1411-1 du Code de la Santé Publique : quelles actions concrètes pourrions-nous souhaiter pour nos anciens ?

La Macronie n’a pas plus traité la problématique de la prise en charge des personnes âgées qu’elle n’a traité celle de la fin de vie ou celle de l’hôpital public en général. L’une des orientations phare de la loi du 08 Avril 2024 « Bâtir la société du bien vieillir et de l’autonomie »[9], propose une mesure pour le moins étonnante, « une mesure pour agir le plus en amont possible dès les premiers signes de la perte d’autonomie », c’est le Programme ICOPE (Integrated Care for Older People), une priorité pour l’ARS ! En fait le dit-programme propose une application mobile permettant d’auto-évaluer ses capacités !

Pour que « l’alternance commence », pour revenir au cœur de la question essentielle et s’éloigner du cynisme des Agences Régionales de Santé, dont Jordan Bardella souhaite la suppression[10]; il faut d’abord s’apercevoir que le problème n’est pas de savoir qui du public ou du privé va s’occuper des personnes âgées, mais qui veut s’en occuper vraiment avec respect ?

La position claire de Marine Le Pen dans son programme présidentiel pour les élections présidentielles 2022, ouvre une voie : « Nous nous devons de protéger nos aînés, et de les traiter avec la dignité et le respect qui leurs sont dus. La logique de rentabilité est insupportable lorsqu’elle remet en cause ces principes ». Elle propose d’accroître la présence du personnel médical au sein des EHPAD, de doter chaque établissement d’un médecin coordonnateur et d’une infirmière présente 24/24. Elle suggère la création d’un droit opposable aux visites pour les résidents et les familles et elle considère comme indispensable la fonction des aidants pour lesquels elle souhaite allonger la durée des congés avec une indemnisation indexée sur le revenu de la personne aidante.[11]

On peut compléter cette orientation en considérant qu’il faudrait organiser la répartition des populations concernées sur différents types de structures publiques en fonction des niveaux de dépendance et d’autonomie de chacune. Certaines vont être médicalement très dépendantes et nécessiteront des soins à la personne nombreux, alors que d’autres auront gardé une autonomie mais ne supportent plus de vivre seules à la maison, même avec des aides à domicile par exemple. On trouvera un exemple fort intéressant et à développer dans ce qu’on appelle aujourd’hui

« l’habitat inclusif ». Ces structures permettent de faire cohabiter plusieurs personnes dans des locaux communs, tout en leur préservant une autonomie et un logement personnel. Les résidents peuvent garder une indépendance relative avec une surveillance, mais ils ne sont plus seuls chez eux. On peut également citer les dispositifs d’accueil familial. L’investissement public pour ce type de dispositif est très inférieur à une structure hospitalière classique et le coût pour les résidents largement inférieur à un EHPAD public classique. Rien d’insurmontable, rien d’effrayant.


Les sources :

[1] Rapport d’information sur la situation des EHPAD, N°778 du 25 septembre 2024, remis par Chantale Deseyne, Solanges Nadille, Anne Souyris. On le trouve sur le site : https ://www.senat.fr On le trouve également sur le site : https ://www.vie-publique.fr

[2] Émission de France 2 diffusée le 25/03/25, Les fossoyeurs. Au cœur du scandale des EHPAD

[3] « Nous sommes entrés en résistance » Article publié le 11/07/2023. Sur le site : https ://france3- regions.francetvinfo.fr/bretagne/cotes-d-armor/saint-brieuc/nous-sommes-entres-en-resistance- pour-sauver-leur-ehpad-ces-maires-ne-paient-plus-les-factures-d-electricite-2811242.html

[4] Séverine Breton, La situation des EHPAD dans le rouge. « On ne va pas les mettre à trois dans un lit ! », article publié le 10/11/2022 sur franceinfo3bretagne.

[5] Proposition de loi N°813. 17° législature. Assemblée nationale. Déposée le 21 Janvier 2025.

Https ://www.assemblée-nationale.fr/dyn/17/textes/17b0813_proposition-loi

[6] Proposition de loi N°813. Op. Cit.

[7] Question de Monsieur Bruno Bildes. Pas-de-Calais (12° circonscription) Rassemblement National. Publication de la question au J.O. Du 12 nov 2024, page 5961. Publication de la réponse au J.O. Du 18 février 2025 page 992.

[8] Proposition de loi N°813. Op. Cit.

[9] Loi du 08 avril 2024 Bien vieillir grand âge et autonomie Ehpad. Http ://www.vie-publique.fr

[10] Jordan Bardella veut supprimer les ARS pour « débureaucratiser la santé », Paris le 24 Juin 2024, Jordan Bardella présente son programme aux législatives 2024. Replay Documentaires TV, à voir sur : video.lefigaro.fr

[11] Communiqué de presse de Marine Le Pen du 25 Janvier 2022. Site du Rassemblement National : https://rassemblementnational.fr

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